La recherche en sciences sociales sur l’interculturalité met
l’accent sur l’importance des
interactions, du mouvement, des processus. M. ABDALLAH PRETCEILLE, dans L’éducation interculturelle, souligne
« que les différences culturelles sont définies non comme des données
objectives à caractère statique mais comme des rapports dynamiques ». Dans
la même veine, A. LAVANCHY, A. GAJARDO et F. DERVIN, dans leur introduction à Anthropologies de l’interculturalité »[1]
définissent le culturel comme le « produit d’interactions sociales, et non
le reflet d’entités préexistantes ».
En effet, d’une part, s’en tenir aux définitions
« statiques » évoquées précédemment comporte le risque de « fossiliser » les cultures
et de céder à une vision figée et superficielle. Il nous faut ainsi nous garder
d’effectuer des comparaisons et des analogies vides de sens et désincarnées
entre les cultures, car celles-ci ne présentent un intérêt que limité si elles
ne permettent pas de mettre en lumière les structures et mécanismes des
sociétés.
D’autre part, en replaçant l’individu au centre des relations
sociales, l’approche interculturelle permet de lutter contre un déterminisme culturel dangereux. En
effet, chaque individu en quête de connaissance de soi-même et de liberté
cherchera à comprendre les ressorts socio-culturels qui l’influencent et à agir
selon sa volonté propre. A ce titre d’ailleurs, les relations interculturelles
sont un moyen de se rendre compte de son ethnocentrisme et nous permet
d’élargir notre connaissance du monde et de nous-même en apportant une
perspective différente. M. ABDALLAH-PRETCEILLE nous met en garde
contre le danger du déterminisme, qui conduirait à penser qu’un individu de son
groupe culturel d’appartenance serait capable de libre-arbitre alors que les
Autres, les personnes de culture différente, seraient « agies par leur
culture, tout comportement étant la
conséquence de leur culture et dictée par elle ».
Il est certes
évident que les déterminants culturels existent, mais toute analyse d’une
action individuelle ou sociale doit être réalisée selon une grille de lecture
pluri-causale, incorporant également les données économiques, sociales, psychologiques,
etc…
Enfin, une culture est mouvante, non seulement en raison des
échanges qu’il peut y avoir entre cultures, mais également parce que « l’individu n’est pas seulement le
produit de ses appartenances, il en est aussi
l’auteur, le producteur, l’acteur » (M. ABDALLAH-PRETCEILLE). Par
conséquent, la culture ne peut plus être considérée comme une simple série de
traits, mais doit être regardée comme une construction à la fois
« pratique », l’homme étant producteur de sa propre culture, mais
également « mentale », la culture étant également une structuration
mentale. Il ne peut être nié que la culture possède une réalité objective
puisque nous pouvons identifier des différences culturelles, mais l’appel à la
culture n’est pourtant pas neutre puisqu’il est à la fois fédérateur au sein de
ceux qui s’en prétendent les membres, mais potentiellement séparateur en ce
qu’il renvoie autrui à son altérité, et parfois dans les discours à son
altérité indépassable (un « immigré intégré » reste ainsi pour celui
qui tient ce propos avant tout un immigré).
Ainsi, l’approche interculturelle remet l’individu au centre de la relation en identifiant l’élément
culturel comme l’une, parmi d’autres, de ses caractéristiques. A. LAVANCHY,
A. GAJARDO et F. DERVIN, dans leur introduction à Anthropologies de l’interculturalité », définissent dès lors
l’éthique comme « cette rencontre de l’Autre comme Autre qui s’appuie sur
une exigence de la liberté d’autrui et sur le respect de sa complexité, de sa
non-transparence, de ses contradictions ».
[1] Recueil
d’articles sur le thème de l’interculturalité, sous la direction de A.
LAVANCHY, A. GAJARDO, F. DERVIN, L’Harmattan, 2011
C'est très intéressant cette histoire d'interculturalité et de déterminisme.
RépondreSupprimerEst-ce déterministe ou nier le libre arbitre que de définir une personne par la somme de ses expériences/appartenances culturelles ?
Ainsi, si l'on se fixe sur la définition que donne l'UNESCO de la culture (que vous donnez dans l'un de vos articles : "la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social", alors finalement on retombe assez proche de la notion de "champs" de Pierre BOURDIEU (que vous avez aussi cité à plusieurs reprises cette année), qu'il défini comme "un espace social où tous les participants ont à peu près tous les mêmes intérêts mais où chacun a en plus des intérêts propres à sa position occupée dans le champ."
Pour continuer à éclairer cette notion "d'interculturalité" via cette analogie entre les notions de "culture" et de "champs", je dirais que le plus compliqué pour expliqué un comportement (point de vue déterministe) c'est de faire appel majoritairement à un "groupe culturel" (ou à un "champs") pertinent, et cela sans nier bien sur l’existence d'autres déterminants "minoritaires".
Je m'explique,
le concept de culture (comme celui de champs) renvoie à des groupements de nature et de taille différentes : culture masculine, culture française, culture footballistique, culture générationnelle (génération Y), culture de formation (énarques, polytechniciens, ouvriers ...), ext ...
L'individu est donc dans cette vision le siège de l'interculturalité car il est fatalement à l'intersection d'une multitude de groupes culturels interpénétrés.
Le libre arbitre ici prend donc racine dans le fait que chaque individu est une combinaison unique d'influences culturelles.
Je pense donc que paradoxalement c'est par la reconnaissance du déterminisme dans sa complexité, ou plus précisément des multiples déterminismes de chaque individu, que l'on peut rencontrer l'Autre comme individu, en ayant conscience de ce qui nous relis et de ce qui nous sépare.
L'individu est unique par un assemblage unique d'expérience, étant unique il est donc différent. Et étant différent il possède donc un libre arbitre car d'une l'expression du libre arbitre ne peux se construire que dans l’altérité.
Si ils sont exprimés et construis de manière différentes, nos cheminements se rejoignent donc en définitive sur la complexité et la non transparence de l'individu qu'il convient de ne pas négliger.
Pour autant cette complexité, cette non transparence, et cette unicité de l'individu en fait un objet d'étude difficilement palpable.
Aussi j'ai tendance à me méfier de la formulation « remettre l'individu au centre » … en tout cas dans le cadre d'une analyse sociologique et/ou anthropologique ayant pour but de « mettre en lumière les structures et mécanismes des sociétés ».
Je suis donc (presque) totalement d'accord avec vous, et j'attend avec impatience le fruit de votre réflexion (dans les mois ou année à venir) sur, d'une part, les différents modèles d'intégration (de l'assimilation stigmatisante à la française et le multiculturalisme communautariste à l'américaine) par ce filtre de l’interculturalité.
Et d'autre part, l'analyse de ce qu'est et de ce que devrait être l'école dans cette perceptive interculturelle, ou plutôt sur ce continuum entre « culture commune » et interculturalité.
Il me semble en effet que votre cheminement vous mènera tôt ou tard à passer par ces sujets.