M. ABDALLAH-PRETCEILLE[1] attache à la
culture une double fonction : « une fonction ontologique,
qui permet à l’être de se signifier à lui-même et aux autres, et une fonction instrumentale, qui facilite
l’adaptation aux environnements en produisant des comportements, des
attitudes ».
Peut-être en raison de cette deuxième fonction, peut-être en
raison de sa nature propre, la culture constitue une unité cohérente qui influence notre rapport au monde.
Etudiant les peuples primitifs, C. LEVI-STRAUSS a en effet
souligné la cohérence des systèmes
culturels. Dans La Pensée Sauvage,
il met en lumière combien les aspects matériels (échanges économiques
organisation du camp, patronymie, ...) sont liés à la vision cosmologique de
l'univers des tribus. Structuration sociale, rapports matériels, spiritualité,
ces différents éléments d'une culture ne peuvent s'analyser séparément.
Ce qui est vrai pour les peuples primitifs s'applique
également à nos sociétés. Il serait en effet dérisoire de critiquer notre
système politique sans comprendre qu'il fait partie d'un système : la
séparation entre le citoyen et l'individu, qui conduit à fonder la démocratie
sur la représentation et non plus sur un exercice direct du pouvoir, est
intrinsèquement lié à l'avènement de l'humanisme et de la liberté individuelle
depuis le XVIIème siècle. Benjamin CONSTANT[2]
affirmait ainsi que "le but des Modernes (au sens historique, c'est à-dire
de la Renaissance à la Révolution industrielle) est la sécurité dans les
jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par des
institutions à ces jouissances". Consacrant le primat de la liberté
individuelle et de la valeur de l’être humain, nos sociétés ne peuvent que
préférer le commerce à la guerre, la représentation à l'exercice constant du
politique, le travail individuel à l'esclavage, l'autonomie à la solidarité
mécanique des sociétés anciennes. L'affirmation de la liberté individuelle
induit tout un système culturel cohérent qui ne peut se comprendre que dans sa
globalité.
Et si parfois nous sous-estimons les effets systémiques des
systèmes culturels, il nous est également difficile de concevoir l'influence
culturelle sur nos systèmes de pensées qui le fondent. Pourtant, il
semble bien que notre représentation de la réalité soit influencée par notre
culture. A ce titre, Benjamin Lee WHORF, dans Linguistique et anthropologie[3], dira même que « nous
disséquons la nature suivant des lignes tracées d’avance par nos langues
maternelles. […].Le fait que les langues découpent la nature de diverses
manières devient patent. La relativité de tous les systèmes conceptuels, y
compris le nôtre, et leur dépendance à l’égard de la langue deviennent
manifestes ».
Dans cette perspective, l’écrivain et philosophe Roger-Pol
DROIT apporte d’ailleurs le témoignage suivant[4] :
« chaque langue opère un découpage spécifique de la réalité, et met en
œuvre des schémas qui lui sont propres. […].J’ai dû m’initier à d’autres
langues, en particulier le sanskrit, pour découvrir de nouveaux paysages
mentaux. Il m’a fallu quitter une certaine terre natale pour entrevoir des
perspectives différentes ».
[1] M.
ABDALLAH-PRETCEILLE, L’éducation
interculturelle, Paris, P.U.F., « Que Sais-je ? », 2004
[2] Benjamin
CONSTANT, Discours prononcé à l’Athénée
Royal de Paris en 1819[4] Magazine CLES, octobre/novembre 2013