dimanche 5 janvier 2014

Multiplicité des cultures

La culture ainsi définie apparaît comme un élément central de la construction identitaire individuelle et collective. Cependant, si en cette époque où l’attention publique se porte sur le débat sur l’immigration, les roms ou le choc des civilisations fait vendre, il ne faut pas occulter ou minimiser la complexité de cette notion d’identité culturelle.

En effet, tout d’abord, au même titre qu’une ethnie est une construction sociale nourrissant un sentiment identitaire et culturel, M. CAHEN[1], d’obédience marxiste, met l’accent sur la force de la notion de classe sociale dans la construction identitaire (ex : la classe des ouvriers), de manière complémentaire à celle de culture vue comme distance géographique entre nations. Cette question soulève naturellement le débat sur ce qu’est une conscience de classe, mais l’objectif ici est surtout d’élargir la vision sur ce qui fournit des « traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social », pour reprendre la définition de la culture de l’UNESCO citée précédemment. En effet, les dimensions sexuelles, générationnelles, professionnelles, régionales, religieuses peuvent également, au moins partiellement, répondre aux définitions citées dans le deuxième post.
Par ailleurs, la culture ressemble presque à un ensemble de poupées russes. De fait, nous pouvons être attachés à plusieurs couches : celle de son village, de sa ville, de sa région, de son pays, voire une couche européenne ou encore « occidentale », et tout cela en même temps, à des degrés divers.
Enfin, en évoquant rapidement la notion d’identité, nous sommes naturellement portés à nous questionner sur son origine, ainsi que sur ce qui guide nos parcours. S’il est compliqué de distinguer clairement ce qui provient de déterminismes (social, culturel, de genre, …) et ce qui relève du choix et de la liberté, P. BOURDIEU utilise l’intéressant concept d’habitus, défini comme « un ensemble de dispositions durables, acquises, qui consiste en catégories d’appréciation et de jugement et engendre des pratiques sociales ajustées aux positions sociales »[2]. Cet habitus fonctionne comme un subconscient, qui permet à un individu dans une position sociale, d’agir la plupart du temps dans l’espace social conformément à ce que celui-ci requiert et demande : « comment ne pas reconnaitre en effet que les « choix » du « sujet » « libre » et « désintéressé » qu’exalte la tradition ne sont jamais totalement indépendants de la mécanique du champ, donc de l’histoire dont il est l’aboutissement et qui reste inscrite dans ses structures objectives et, à travers elles, dans les structures cognitives, les principes de vision et de division, les concepts, les théories, les méthodes mis en œuvre, jamais totalement indépendants de la position qu’il occupe dans ce champ »[3]. Mais le degré auquel un habitus est « systématique et constant dépend des conditions sociales de sa formation et de son existence » : un habitus n’est pas un déterminisme implacable et immuable.
Ainsi, nous sommes guidés par nos prédispositions qui sont le fruit d’interactions avec le monde social. L’habitus rend possible la vie en société. Il ne nous est pas nécessaire, comme dans un contexte culturel fondamentalement différent, de réapprendre toutes les règles sociales en permanence. Mais l’habitus a également une influence sur nos processus cognitifs qui peut conduire à l’incompréhension culturelle, car son aspect « naturel » nous fait oublier à quel point notre vision du monde est issue d’un contexte social, historique, culturel donné. Nous le remarquons par exemple avec la question des roms : il n’est pas illogique que la rencontre d’une part des individus éduqués par un Etat-Nation et sur les principes de liberté individuelle et d’autre part des populations nomades où le rôle de la communauté est central fasse naître des tensions. Nous rentrons là au cœur du sujet de l’interculturalité, qui sera développé par la suite, et qui est l’un des éléments de la démarche du projet Owiwo.

Au passage, un Ted'x sur les roms qui, même si on peut discuter 2/3 détails, reste très intéressant :
Ted'X : Les Roms, derniers porteurs de notre culture d’origine




[1] M. CAHEN, La nationalisation du monde, L’Harmattan, 2010
[3] P. BOURDIEU, Méditations pascaliennes